samedi 5 octobre 2024

Ô temps...

 Un défi   ayant pour sujet  "le temps aboli" proposé par Jeanne Fadosi pour les "Croqueurs de Mots" m'a rappelé une de mes histoires "farfadesques", écrite il y a pas mal de temps.

***

Las d’avoir perpétuellement à changer les piles de sa montre à cristaux liquides – chose qu’il oubliait trop souvent de faire – Pascal Bontemps, employé zélé d’un gros cabinet d’expertise comptable, décida un beau jour de s’offrir la montre de gousset en argent dont il rêvait. Il l’avait repérée depuis longtemps dans la vitrine du vieil antiquaire qui tient boutique à l’angle de la rue où se dresse l’immeuble de sa société. Une vénérable montre, très belle au demeurant et qui ressemblait à s’y méprendre à celle qu’avait toujours portée son père, et le père de son père avant lui, qui la tenait lui-même de son père. Il en était ainsi depuis que cette pièce de musée avait été assemblée par un horloger bijoutier de grand talent.
L’objet, véritable héritage de famille, avait été légué à son frère aîné à la mort de leur père. Pascal en avait conçu une féroce jalousie car depuis l’enfance, il avait toujours convoité la montre et espéré qu’elle lui reviendrait de plein droit bien qu’il ne fût que le cadet. Lui au moins eût conservé pieusement et bichonné comme il se doit ce précieux legs ! Pas comme son foutu frère qui s’était empressé de le vendre au plus offrant des antiquaires. Il en avait tiré un fort bon prix, justifié par l’ancienneté avérée de la montre. Le prix de Judas ! Depuis, Pascal avait coupé les ponts avec son aîné et personne, jamais, n’avait compris les raisons de cette soudaine désaffection.
Cette montre, dans la vitrine pleine d’un fatras d’objets sans âge de Monsieur Grégoire, c’était peut-être celle de son grand-père, qui sait ? De toute façon, même dans le cas contraire, il la voulait pour réaliser enfin le rêve tant caressé : accrocher à la poche du gilet de son austère costume trois pièces gris, la chaîne d’argent d’une montre de gousset, celle- là de préférence.
Et basta les piles qu’on oublie de remplacer dans ces satanées montres modernes !
Il imaginait déjà l’ineffable plaisir qu’il éprouverait à la sortir, toute chaude encore, de la poche de son gilet, de l’exhiber fièrement ainsi qu’il l’avait vu faire tant de fois par son aïeul puis par son père, d’en actionner religieusement le remontoir…Avec certitude, il savait d’avance que chaque fois qu’il la remonterait, aussi sûrement qu’il sentait battre son cœur, il sentirait les rouages complexes et subtils ainsi que les minuscules ressorts, se remettre en place pour que reprenne la course du temps, rythmée par le tictac régulier des aiguilles tournant paisiblement autour du cadran.
Pascal est méticuleux, presque tatillon, ponctuel jusqu’à l’extrême. Son emploi du temps, du lever au coucher du soleil, est calculé à la minute près. Chez lui comme au travail, chaque chose a sa place, chaque place a sa chose. Tout est tiré au cordeau ! Sur son bureau, modèle du genre, le téléphone est à main droite, l’ordinateur exactement au centre ; à main gauche, les dossiers en cours soigneusement empilés par ordre de priorité. Chaque soir, la journée terminée, à dix-sept heures précises, il range ses affaires, décroche sa veste et son écharpe de soie blanche de la patère et quitte le bureau ; cela lui prend exactement une minute, plus une pour traverser le couloir et atteindre l’escalier. À dix-sept heures neuf, il ouvre la portière de sa petite voiture toujours garée au même emplacement sur le parking privatif de la société. Nul ne songerait, ne fût-ce que par pure plaisanterie, à occuper le rectangle bien délimité à la peinture blanche sur lequel l’un d’eux - excédé peut-être - a fini par inscrire en grosses lettres rouges : MONSIEUR BONTEMPS.
Tel est Pascal, vieux garçon respectable, employé modèle, parangon de l’ordre et de l’exactitude, consciencieux, perfectionniste, dont la vie bien réglée ne souffre aucun contretemps - c’est la raison essentielle qu’il invoque pour ne s’être jamais marié - ce même Pascal, rigide et cartésien dont le rêve secret, insolite s’il en est en cette ère de progrès technologique, est d’acquérir une vieille montre de gousset au boîtier d’argent finement gravé et au mécanisme à remontoir antédiluvien ! C’est d’ailleurs ce qu’il va faire aujourd’hui même car il a une fois de plus, oublié de changer la pile de cette coûteuse montre en or que lui a offerte sa mère pour son quarante cinquième anniversaire. Oubli qui somme toute est assez anormal pour un homme aussi pointilleux !
Monsieur Grégoire se frotte les mains. Il a dégoté là le client idéal qui sait exactement ce qu’il veut et tout aussi exactement ce qu’il est prêt à débourser pour obtenir l’objet convoité. Il est heureux, soulagé même, de pouvoir enfin se débarrasser de la montre dont il est contraint d’astiquer chaque soir le boîtier dont l’argent se ternirait sans ses soins attentifs. Infiniment heureux de ne plus avoir à remonter cette capricieuse qui semble prendre un malin plaisir à s’arrêter. Bien sûr, ses vieux doigts déformés et raidis par l’arthrose ne parviennent plus à actionner correctement la traîtresse et minuscule mollette mais tout de même !
Monsieur Grégoire a toujours affectionné les vieilles choses. C’est une passion qu’il entretient de longue date et pour laquelle il a défié l’autorité paternelle, choisissant de devenir antiquaire plutôt qu’instituteur. Une profession belle entre toutes que son père, directeur d’école primaire, eût aimé lui imposer.
Traquer les objets, les meubles d’époque, vider les greniers…Le cœur battant de curiosité, soulever les couvercles poussiéreux de vieilles malles emplies de précieuses reliques du temps passé…Marchander pour obtenir le meilleur prix d’une antiquité qui n’en a pas… Expertiser, dater, vendre à des amateurs éclairés ou à de simples amoureux de belles et vieilles choses et capables d’apprécier à leur juste valeur les trésors chargés d’histoire qui leur sont confiés, voilà la passion de Monsieur Grégoire. Il aime chaque objet qui orne sa vitrine, chaque vieillerie pleine de souvenirs qui encombre son petit magasin, véritable caverne d’Ali Baba pour connaisseurs et fouineurs qui trouvent généralement leur bonheur dans ce merveilleux bric- à - brac.
Hélas, il se fait vieux ! Comme tout ce qu’il vend ! Il désirait passer la main depuis longtemps déjà mais son fils unique n’a pas souhaité prendre la relève. Ironie du sort, il a préféré devenir instituteur ! Professeur des écoles comme on dit à présent. Monsieur Grégoire est fatigué. Celle qui le soutenait et l’aidait dans son commerce, l’a quitté depuis dix ans déjà. Sans elle les années sont plus lourdes à porter et son vieux cœur n’a pas de remontoir, lui ! Pas comme cette foutue montre qu’il lui faut remettre à l’heure plus souvent qu’à son tour ! Cette tâche ô combien fastidieuse et trop souvent répétée lui fait ressentir plus cruellement encore et son âge et sa profonde lassitude.
Ô oui ! Il est heureux qu’un autre enfin se charge de mater la rebelle et inconstante montre de gousset qu’il s’est pris, au fil du temps, à haïr cordialement sans pour autant faillir une seule fois au détestable pensum !
Au comble de la joie, Pascal Bontemps a sorti sans sourciller la somme rondelette - justifiée par l’ancienneté de l’objet - que le vieil antiquaire lui a demandée et s’est emparé de la montre tant convoitée. Il en a ouvert le boîtier et l’a portée à son oreille pour en entendre enfin le doux tic-tac.
- Fantastique ! Elle fonctionne ! S’est-il exclamé au comble de l’excitation.
- N’oubliez pas de la remonter ! A conseillé Monsieur Grégoire sur un ton teinté d’inquiétude…
- Bien sûr, bien sûr … a opiné distraitement Pascal.
- Elle est assez capricieuse ! A insisté l’antiquaire.
Mais tout à son bonheur, Pascal ne l’a pas entendu. Il est parti, la main refermée sur son inestimable trésor, émerveillé et les yeux brillants, tel un gamin qui viendrait tout juste de se voir offrir le plus beau et le plus convoité des jouets…

Lundi, midi pile…
Pascal prend sa pause déjeuner, ainsi qu’il le fait chaque  jour de la semaine. Son bureau est en ordre impeccable. L’ordinateur éteint. Les dossiers bien rangés attendront son retour. Le bistrot du coin où il fait figure d’habitué, sert un plat du jour très convenable. Il sort dans le couloir où se trouvent son propre bureau et ceux de ses collègues, le siège directorial étant situé à l’étage au-dessus, comme il se doit. Il salue distraitement une secrétaire qui, un épais classeur sous le bras, poirote devant l’ascenseur. Elle ne répond pas. Il n’en est pas surpris. C’est la « particulière » de monsieur Chaffaut, bras droit du grand patron. Cette pimbêche n’hésite pas à faire des heures supplémentaires pour se faire mousser. Il ne l’aime pas. Personne ne l’apprécie à cet étage.
Le silence dans le long couloir est d’une inhabituelle intensité mais il n’y prend pas garde tant il est absorbé par les grouillements intempestifs de son estomac qui semblent indiquer - hypothèse hautement improbable - qu’il aurait dépassé son timing de quelques précieuses minutes. Il emprunte l’escalier comme à l’accoutumée. N’ayant guère le temps de pratiquer le moindre sport, il a trouvé là un moyen idéal de se maintenir en forme sans pour autant perdre une minute. C’est donc d’un pas alerte et bien rythmé en dépit de ses 46 ans, qu’il dévale les marches des quatre étages qui le séparent du rez-de-chaussée. Il ne croise personne si ce n’est une femme de ménage qui, le nez en l’air et brandissant un balai-brosse coiffé d’une serpillière dégoulinante, est en train de glander au lieu de finir son nettoyage. C’est d’ailleurs étonnant qu’elle soit toujours là à cette heure et plus étonnant encore qu’elle ne daigne pas répondre à son bonjour poli ! Peut-être que, prise en flagrant délit de glandage, elle préfère feindre de ne pas l’avoir vu.
C’est une belle journée de mi-juillet. Dans la cage d’escalier, la chaleur moite et étouffante le prend à la gorge et fait battre son cœur un peu trop vite. Il ralentit légèrement la cadence pour tamponner de son mouchoir immaculé, la sueur qui perle à son front et dans son cou. Il n’en est pas sûr mais tout à l’heure, il s’est cru le jouet d’une hallucination. En effet, l’eau qui était censée tomber de la serpillière mouillée à peine sortie de son seau, lui a semblé être comme en suspension, immobilisée entre la loque qui pendouillait et la marche où se tenait la femme de ménage… La faim ajoutée à la fatigue et à la chaleur accablante, sont probablement à l’origine de cette illusion d’optique. En tous cas, ça lui a fait un drôle d’effet ! Heureusement, dans quelques jours il sera en vacances !
Parvenu au rez-de-chaussée, il se retrouve devant la porte de verre grande ouverte retenue par la main bronzée de Jean-Louis, l’un de ses jeunes collègues du quatrième qui, un pied dehors, semble dans l’expectative.
- Alors, tu sors ou tu rentres ? Plaisante-t-il.
Puis sans attendre la réponse, il se faufile dans la rue où la touffeur de l’air ambiant lui saute à la figure, l’obligeant à fermer les yeux. Quand il les rouvre, il se croit aussitôt victime d’un de ces inexplicables phénomènes dus à la forte réverbération solaire. La rue tout entière est comme figée. Les passants, les chiens et les chats errants, les voitures et les bus, stoppés dans leur élan sont, ou du moins paraissent immobiles dans les vapeurs de chaleur qui stagnent au-dessus du macadam surchauffé de ce début d’après- midi caniculaire…
Seulement cette rue, car au loin, plus loin, au-delà du lourd et chaud voile de brume qui enveloppe cette portion de ville comme une épaisse moustiquaire, la vie poursuit son cours. Il en entend la rumeur assourdie, en perçoit les mouvements flous comme s’il se trouvait derrière une vitre fermée, légèrement opacifiée par une fine pellicule de poussière.
Pour se rassurer, se raccrocher à quelque chose de tangible, Pascal sort machinalement la montre de gousset de la poche de son gilet et ouvre le boîtier d’argent.
« Tiens, elle est arrêtée ! » Se dit-il.
En effet, elle est encore sur midi or, selon ses calculs il devrait être midi cinq. Son minutage précis pour descendre du quatrième ne l’a encore jamais trompé. Cinq exactement ! Et il ne lui en faut que deux pour rejoindre à pieds le café où il mange. Pour en avoir le cœur net, il vérifie l’horloge de la mairie qui fait face de l’autre côté de la rue, au bâtiment où il travaille. « Peste ! C’est la loi des séries ! » Pense-t-il agacé.
Elle aussi s’est arrêtée sur midi pile. Sûr de ses calculs, il remet sa montre à l’heure, midi six en comptant ce temps - pas plus d’une minute tout de même ! – passé à se questionner. Il actionne le remontoir puis la remet dans sa poche. Il était pourtant persuadé de l’avoir remontée hier soir ! Avec ça, il vient encore de perdre une précieuse minute !
Dans la rue les passants rentrent chez eux sans se presser, il fait vraiment trop chaud pour courir ! Toutes vitres ouvertes, les voitures klaxonnent intempestivement devant les feux qui tardent à se mettre au vert. La vie est bien là et il faut qu’il soit rudement fatigué pour s’être imaginé autre chose ! Jean-Louis qui l’a rejoint sur le trottoir, secoue la tête comme au sortir d’un mauvais rêve. Lui aussi paraît très affecté par la chaleur. Il retire sa veste et dénoue sa cravate.
- Salut Pascal ! On y va ! J’ai la dalle et une de ces soifs ! J’ai besoin d’une bonne bière bien fraîche ! Le bon Dieu là -haut, il devrait installer la clim, comme dans nos bureaux ! Je crève de chaud, pas toi ? Allez vieux, tombe la veste ! Lance-t-il en se dirigeant d’un pas décidé vers le bistrot où ils déjeunent ensemble.
- Dis donc ! Tu ne m’as pas vu quand je suis passé sous ton nez à l’instant ? Je t’ai même parlé ! À quoi ou à qui pensais-tu encore hein ? Interroge Pascal.
- Fichtre ! Je déconnecte mon vieux ! Rien vu, rien capté ! Parole ! Je te le dis, on bosse trop mon pote !
Et de concert, ils s’éloignent en bavardant joyeusement dans la rue animée…

Mercredi, fin d’après-midi…
«Plus que trois jours avant les congés !» Pense fugacement Pascal en levant les yeux quelques secondes des comptes épineux qu’il est en train d’éplucher.
- Bon sang ! Déjà dix-sept heures ! S’exclame-t-il en jetant un coup d’œil à la pendule carrée, encadrée de noir comme un faire-part mortuaire, qui est accrochée sur le mur crème, à droite de son bureau, juste au-dessus d’une lithographie des « Baigneuses » de Gauguin qu’il passe son temps à redresser ainsi qu’il le fait pour les comptes des clients du cabinet.
Cette merveille de l’électronique est toujours exacte mais par acquit de conscience, par plaisir aussi il doit en convenir, il sort la montre de gousset pour s’assurer qu’il est bien temps de partir : dix-sept heures !
Machinalement, il la colle à son oreille. Bizarre ! Aucun tictac ! Diable ! Elle est encore arrêtée ! Il jette alors un autre regard sur la pendule : dix-sept heures ! Incroyable ! Impossible même ! Elle aussi serait donc arrêtée ? Combien de précieuses minutes a-t-il faites en plus sans même s’en apercevoir ? Et naturellement, personne ne l’a prévenu ! Ils doivent tous être rentrés pénards en le laissant continuer à travailler tout seul ! C’est la première fois qu’ils lui font ce coup-là ! Connaissant sa proverbiale exactitude, ils doivent bien se marrer ! Il empoigne sa veste et sans l’enfiler, sort ulcéré de son bureau. Dans le couloir du quatrième, le silence est significatif. Il n’y manifestement plus que lui dans les locaux de la société. Les autres bureaux… Non !
Ils ne sont pas vides !
Incrédule Pascal regarde à travers la porte vitrée de celui de Jean-Louis. Il est là, avec la secrétaire de Chaffaut dans une position qui ne laisse aucun doute sur ce qu’ils sont en train de faire : son copain a les deux mains sur les seins de la pimbêche et la bouche dans son cou ! Et elle a l’air d’aimer ça cette faux jeton ! Quel inconscient ce type ! Faire ça au vu et au su de tout le monde ! Il est pourtant marié le bougre !
Pascal est sur le point de frapper au carreau quand quelque chose l’interpelle. Plusieurs même ! Que la pendule indique dix-sept heures, c’est normal puisque toutes celles de la société sont réglées électroniquement. Ce n’est sûrement que le fruit du hasard si le système s’est détraqué à l’heure où sa montre s’arrêtait… Quoique….
Mais que la feuille de papier immobilisée en l’air, suspendue au-dessus du sol ne se décide pas à s’y poser, ça c’est anormal !
Que Jean-Louis et la pimbêche aient décidé de faire des heures sup’ pour prendre du bon temps, pensant être seuls, il comprend ! Mais qu’ils paraissent totalement immobiles, silencieux, comme statufiés dans cette position compromettante…
- Oh la la ! J’hallucine ! Murmure Pascal comme s’il avait peur que les tourtereaux ne l’entendent.
Angoissé, il se dirige vers le troisième bureau…
À l’instar des autres, la pendule murale indique dix-sept heures. Éric est à son clavier, les deux mains légèrement au-dessus, prêtes à retomber sur les touches. Prêtes seulement ! Telles des oiseaux figés en plein vol, elles demeurent obstinément en l’air. La tête tournée vers la porte, Éric le regarde… Semble le regarder car ses yeux sont fixes et il ne cille pas. Comme la pendule, comme sa montre, il est arrêté !
Pascal, hésitant, s’approche alors du quatrième bureau, redoutant à l’avance ce qu’il va découvrir…
La belle Moira, une main aux ongles carminés posée sur la poignée de la porte, s’apprête à sortir. Aussi ponctuelle que lui, elle ne ferait pas une minute de plus que nécessaire. Une longue mèche de ses magnifiques cheveux noirs, soulevée par un courant d’air sans doute, flotte au-dessus de ses épaules gracieuses sans y retomber joliment ainsi qu’elle devrait le faire. Quant à son autre main, elle tente de rabattre la large jupe que ledit courant d’air a indiscrètement soulevée en corolle. Peine perdue, Moira est arrêtée elle aussi…
C’est un complot ! Il faut que ce soit cela ! Car si tous ces gens qu’il connaît bien ne sont pas d’excellents comédiens, c’est qu’il se passe quelque chose. Un truc étrange qu’il pressent mais se refuse encore à admettre. Ou alors c’est qu’il devient complètement fou avec cette maudite chaleur qui ne veut pas céder !
Sans réfléchir et exceptionnellement pour cette fois, il va prendre l’ascenseur.
En panne !
Le voyant d’appel est pourtant allumé. Pascal se précipite dans l’escalier qu’il dévale à toute vitesse au risque de se rompre le cou. Il débouche au rez-de-chaussée au bord de l’apoplexie, puis dans la rue silencieuse et figée. C’est la seulement, parce qu’une petite voix intérieure semble le lui souffler, qu’il s’avise de remonter sa montre sans même l’avoir remise à l’heure et tout en regardant l’horloge de la mairie, elle aussi arrêtée sur dix-sept heures pile. Laquelle horloge se remet aussitôt en marche, constate-t-il assommé, incapable de bouger.
À peine quelques minutes plus tard, tous les employés de la société déboulent à leur tour sur le trottoir, pressés de rentrer.
Jean-Louis le sort de sa torpeur en lui tapant dans le dos, rigolard :
- Ben mon colon ! Tu es sorti rudement tôt aujourd’hui ! Tu as rencard au moins ? Elle est comment ?
Et il part en riant après un clin d’œil appuyé à la secrétaire de Chaffaut qui, accompagnée de son patron, passe devant lui hautaine en faisant mine de n’avoir rien remarqué. Quelle sainte nitouche celle-là !

Vendredi matin…
Encore tout engourdi de sommeil, victime de cette maudite fatigue qui ne l’a pas quitté de la semaine, lui faisant imaginer les phénomènes étranges dont il refuse encore de croire qu’il les a réellement vécus, Pascal se réveille péniblement. Il n’est pas question, en dépit de son épuisement, qu’il arrive en retard au bureau. C’est aujourd’hui son dernier jour de travail avant des congés annuels bien mérités. Hier soir, pour être certain d’être debout à l’heure, il a remonté soigneusement la montre de gousset avant de la poser sur la table de chevet, entre la lampe et le radio- réveil dûment réglé sur cinq heures. Il ne commence qu’à huit mais il se lève toujours très tôt. Une vieille habitude.
Du fond de la torpeur qui lui embrume les méninges, il entend vaguement une sonnerie insistante. Si vaguement qu’il n’y prête pas attention. C’est juste la suite du rêve cauchemardesque qui l’a poursuivi toute la nuit semble-t-il. Un de ces rêves récurrents qu’il fait depuis l’enfance et qui traduit une angoisse elle aussi résurgente.
Une fois encore, il va être en retard à l’école. Tout ça parce qu’il n’a pas entendu sonner l’affreux réveil en métal bleu dont l’horrible bruit de crécelle lui fait toujours une peur terrible. C’est sans doute pour ça qu’il ne l’entend presque jamais, parce qu’en fait il a tellement peur chaque fois, que son esprit se refuse à l’entendre. C’est alors maman qui, en hurlant des imprécations à ses oreilles, doit le secouer comme un prunier pour le réveiller. Et il ne sait pas ce qui est le plus terrifiant de la sonnerie du monstre de métal bleu électrique ou d’être ainsi tiré brutalement du sommeil par sa propre mère…
C’est ce cauchemar-là qu’il vient de faire une fois de plus, qui lui donne aujourd’hui encore l’impression d’être un petit garçon pris en faute, quand par hasard – et c’est infiniment rare – il lui arrive d’être en retard ne serait-ce que d’une seule minute. C’est à cause ou grâce à ce songe qui lui revient avec une régularité métronomique qu’il est devenu ce parangon d’exactitude dont se moquent ses collègues en général, Jean-Louis en particulier.
Il frotte ses paupières lourdes. Il doit être trop tôt pour se lever. Il fait encore nuit. En cette saison le jour aussi se lève de bonne heure. Et puis le radio réveil n’est pas encore en route. Il le règle invariablement sur une station musicale car s’il aime se lever à l’heure, il apprécie néanmoins les réveils en douceur – on comprend pourquoi – qui contribuent pour beaucoup à sa bonne humeur quotidienne.
Une sensation troublante le fait bondir de son lit. Des petits bruits familiers qu’il devrait entendre et qu’il n’entend pas…La lueur rouge du radio réveil que dans le noir il devrait voir clignoter et qu’il ne voit pas…Une sonnerie stridente qu’il capte réellement elle, et pas seulement en rêve…celle du téléphone ! Et c’est ce son-là qui lui paraît le plus incongru car si ce qu’il pense soudain est vrai, il ne devrait pas l’entendre, pas plus qu’il n’entend le tic-tac de sa montre ou l’habituel bourdonnement du frigo mal calé provenant de la minuscule kitchenette de son appartement trois pièces de célibataire. Pas d’avantage que la régulière oscillation du balancier de la comtoise du salon…
Dans le noir, hormis les battements effrénés de son cœur, tout semble arrêté, c’est le silence absolu ! Aucun bruit venant du dehors ni des autres appartements de l’immeuble pourtant mal insonorisé ! Il devrait entendre son voisin du dessus qui se lève chaque jour bruyamment à quatre heures tapantes ou peut-être celui du dessous qui rentre à six tandis que lui petit déjeune en solitaire. Quelle heure est-il d’ailleurs ? Il ne sait pas ! Il n’a pas encore osé vérifier sur quels chiffres se sont arrêtées les aiguilles de la montre rebelle. Ce dont il est sûr désormais, c’est que chez lui, dans le bâtiment C où il habite ainsi que dans tous ceux de la résidence, la vie s’est figée. Il n’a pas besoin de le voir pour deviner que dans la rue qui jouxte et probablement même dans l’ensemble du quartier, tout est également silencieux, figé, suspendu dans le temps en attendant que lui, Pascal Bontemps, veuille bien remonter une fichue montre de gousset et permettre ainsi à la vie de reprendre son cours serein. Il sait qu’il ne sera pas le seul à être en retard aujourd’hui, mis à part ceux très rares dont le lieu de travail se situe dans le quartier même.
À l’autre bout de la ville, dans le grand immeuble du cabinet d’expertise comptable, on l’attend et on s’inquiète sans doute de son absence. Là-bas, le temps suit son cours habituel et chacun s’étonne de ce retard d’autant plus qu’il n’a fourni aucune excuse et pour cause ! Vingt ans de service, jamais malade, toujours pile à l’heure ! Ils en font des gorges chaudes à n’en pas douter ! Et lui qui, il n’en doute plus à présent, est le seul à se mouvoir librement dans un microcosme où le temps semble avoir suspendu son vol, se sent incapable d’aller décrocher un foutu téléphone qui de toute évidence ne devrait pas sonner, selon les théories plus dignes de la science-fiction ou de l’ésotérisme auxquelles il n’a jamais adhéré, que d’une réalité cartésienne qui est normalement son credo!
Non, il ne devrait pas sonner à lui crever les tympans ce putain de téléphone ! Par conséquent, il n’ira pas répondre, voilà tout ! D’ailleurs, quel prétexte invoquerait-il pour expliquer son absence, hein ? Pas cette histoire débile de temps stoppé par les caprices répétés d’une vieille montre en tout cas ! Qui le croirait ? Il n’y croit pas lui-même en dépit des preuves qui s’accumulent depuis une semaine.
Pris malgré tout d’un irrépressible désir de vérifier l’exactitude de ses théories aussi incroyables qu’elles sont fantaisistes, pressé de se convaincre qu’il n’est pas devenu fou, il enfile sa veste de pyjama…Il va voir. Il faut qu’il puisse voir de ses yeux voir pour être certain qu’il ne rêve pas ou qu’il n’est pas victime d’une hallucination. Tant pis s’il joue les apprentis sorciers, il ne remontera pas la montre de gousset tout de suite…Non, décidément ! Avant, il doit voir !
La lune est pleine et c’est tant mieux, car ainsi qu’il s’en doutait, aucun interrupteur ne fonctionne. Il ouvre en grand les doubles rideaux, puis les stores - à manivelle, heureusement ! Pour y voir plus clair. Il a très chaud mais il ne se passera pas d’eau pour se rafraîchir. Inutile ! Le temps qui a tout figé, empêcherait sûrement l’eau de s’écouler. Il vérifie tout de même…gagné ! Il n’a pas besoin de tourner un robinet pour s’en assurer. La petite fuite qu’il a constatée quelques jours auparavant dans la cuisine sans avoir une minute à lui pour s’en occuper, lui prouve qu’il a raison. Il n’entend pas le plic-ploc agaçant des gouttes mais il les voit, suspendues au-dessus de l’évier, tandis qu’un mince filet d’eau, figé comme un ruisseau par le gel hivernal, attend la reprise du décompte temporel pour s’échapper par la bonde…À ce tarif-là, pas la peine d’espérer boire quoi que ce soit sorti du frigo ! Bières et sodas sont à coup sûr aussi « gelés » que l’eau du robinet !
Comme un voleur, il sort de chez lui à pas de loup. Il n’y a aucun bruit alentour que celui de son cœur qui bat à tout rompre. Des battements qui résonnent à ses tympans tels des coups de canon ! Il ignore l’ascenseur qu’il sait immobilisé par le phénomène et descend l’escalier sur la pointe des pieds pour ne pas réveiller les autres locataires. Les réveiller ? Pauvre idiot ! Ils ne dorment pas, ils sont arrêtés !
Il a sa propre clé pour l’entrée de l’immeuble, comme tous les locataires en cas de panne d’électricité. C’est heureux car les digicodes eux non plus ne doivent pas fonctionner ! Devant la porte, il stoppe net. Il sait maintenant à quelle heure exactement s’est arrêtée la montre rebelle. Il reconnaît l’occupant de l’appartement dix-neuf. C’est monsieur Armando, celui qui se lève à trois heures trente et quitte l’immeuble à quatre heures précises chaque matin pour aller travailler. Il est statufié dans l’entrebâillement de la porte, un pied dehors, la bouche largement ouverte sur un bâillement qui ne se terminera que lorsque le temps aura repris sa course folle. Ses yeux encore rouges et gonflés de sommeil, fixent la nuit sans ciller.
Pascal sort sans le déranger et pour cause !
Dehors, le spectacle qui l’attend ne fait que confirmer son intuition. Il en tressaille cependant et commence, ombre noire et solitaire, l’exploration de la rue où tout n’est que silence et immobilité.
Les milliers de moucherons agglutinés autour des hauts lampadaires, sont immobiles…
Le gros chat tigré en équilibre sur la palissade du chantier voisin, un miaulement plaintif coincé dans la gorge, est immobile…
Le chien famélique, la patte levée contre une poubelle, est immobile…
Près de la discothèque, un groupe de jeunes bloqués en pleine conversation animée, est immobile…
Dans le square, enlacé sur un banc, un couple d’amoureux surpris par la nuit, oublieux de l’heure, oublié par le temps, n’en finit pas de s’embrasser à bouche que veux-tu, transformé en statue comme les amants des « Visiteurs du soir » mais on n’entend pas leur cœurs battre à l’unisson comme dans le film, car ils se sont arrêtés momentanément avec la montre de gousset de Pascal Bontemps.
Des conducteurs nocturnes, figés au volant de leurs voitures, paraissent assoupis mais leurs yeux bien ouverts témoignent qu’ils sont éveillés. Ils sont en attente, seulement en attente d’être remontés, comme la montre de Pascal.
Trois petits braqueurs de distributeurs de billets, sont immobilisés en flagrant délit sur les lieux de leur forfait. Ils ne peuvent savoir qu’à quelques mètres seulement, les deux occupants de l’estafette de la police se « réveilleront » bientôt et se précipiteront pour les prendre la main dans le sac…
Les mille et un bruits de la nuit se sont tus et toute vie a cessé à quatre heures exactement, en même temps que les aiguilles sur la vieille montre d’argent.
Une espèce de brouillard qui dans ce contexte surréaliste, ne peut cette fois être imputé ni à la chaleur ni aux vapeurs d’essence ni à la réverbération solaire, recouvre la rue, le quartier tout entier où il se meut furtivement et où seul le bruit léger de ses pas, résonne étrangement à ses propres oreilles. En fait, au fur et à mesure qu’il se rapproche de la frontière qui sépare son quartier, du reste de la ville, il a plutôt l’impression, autant que la nuit environnante lui permette d’en juger, qu’il s’agit plus d’un dôme que d’un brouillard. Un dôme dont l’épaisseur altère la transparence, comme un saladier de verre terni par les lavages successifs…Il le voit bien maintenant qu’il a atteint les limites, de l’autre côté des parois de ce dôme temporel, il fait grand jour et la vie bat son plein !
Ce qu’il ne comprend pas, c’est pourquoi les gens derrière le saladier ne paraissent pas se rendre compte qu’un grand morceau de nuit persiste sur la ville, un grand morceau de silence et d’immobilité dans lequel lui, désespéré, le nez collé à la vitre opacifiée, leur fait des signes qu’ils ne voient pas. Mieux ou pire plutôt, ils passent indifférents près de cette frontière apparemment invisible pour eux, ou ils y entrent - des distraits assurément - sans se douter le moins du monde qu’une fois de l’autre côté, ils se retrouveront figés à leur tour dans un espace temporel où règne encore la nuit.
Tout cela est irréel pense Pascal. Ou à tout le moins illogique ! Si eux peuvent passer de ce côté, lui devrait pouvoir en faire autant dans l’autre sens et se retrouver en plein jour, en pantoufles et pyjama dans la rue animée, derrière le dôme nocturne. Il a essayé, il ne peut pas ! Alors qu’il le croyait intangible, même s’il le compare à un saladier de verre, il s’est cogné et a rebondi plusieurs fois contre le mur du temps, comme une mouche folle contre une vitre. Il est prisonnier de la nuit, prisonnier de ces quatre heures précises jusqu’à ce qu’il remonte cette satanée montre !
Que se passerait-il s’il le faisait maintenant, sans la remettre à l’heure puisqu’il ne sait pas quelle heure il est réellement de l’autre côté ? La vie reprendrait-elle son cours comme si de rien n’était, à partir de ces quatre heures, jusqu’à ce que ce côté-ci rejoigne l’autre ? Impossible ! Le temps continue à s’écouler normalement derrière le dôme. Quels dérèglements aurait-il provoqués s’il avait agi sans réfléchir, en se contentant d’actionner le remontoir ? C’est la troisième fois qu’à cause de sa négligence, le temps s’arrête ainsi. Les deux premières, ce fut durant un laps relativement court mais cette fois…
En hâte, il rebrousse chemin et regagne son appartement. Il court, il court comme un fou pour rattraper le temps, tout ce temps perdu parce qu’il n’a pas suffisamment écouté le vieil antiquaire. À présent, sa voix fatiguée et inquiète lui revient en mémoire, à tel point qu’il croit l’entendre répéter encore et encore : « N’oubliez pas de la remonter…N’oubliez pas…la remonter…La remonter… »
Monsieur Grégoire savait, lui qui s’était usé des années durant à cette tâche pénible et ingrate : surveiller inlassablement, du matin au soir et du soir au matin, une vieille montre de gousset au boîtier d’argent gravé.
Une vieille mécanique capricieuse qui détient le pouvoir d’arrêter le temps dans un espace restreint à l’environnement de qui la possède.
Lui n’avait jamais failli à ce devoir sacré. Il n’avait pas laissé la rebelle s’arrêter un seul instant à en juger par son regard aux yeux fatigués, profondément enfoncés dans leurs orbites. Un regard dont se souvient parfaitement Pascal maintenant. Un regard halluciné qui témoignait de tant et tant de nuits sans sommeil. Voilà désormais à quoi il est condamné à son tour : veiller à la bonne marche du Temps en empêchant sa montre d’en enrayer l’immuable cours…
Rentré chez lui, la sonnerie stridente du téléphone le rappelle à l’ordre. La férule du Destin. Il décroche. C’est le patron qui s’étonne de son absence injustifiée :
- Alors monsieur Bontemps ! On se croit déjà en vacances ? Il est onze heures. Ça va faire trois plombes qu’on essaie de vous joindre et que vous ne répondez pas ! Qu'est -ce qui vous arrive bon sang ?
Pascal n’invoque pas une panne de réveil, ce serait à son goût d’un humour trop noir ! Il prétexte un violent accès de fièvre, une insolation sans doute, la chaleur suffocante de ces derniers jours…C’est plausible et ça passe !
- Bon, ce n’est pas grave mon vieux, après tout, c’est la première fois et ce soir vous êtes en vacances, alors…
- Grand merci Monsieur Chaffaut ! Répond-il d’une voix de grand malade exténué. Mais ne l’est-il pas vraiment  ?
Désespéré, inquiet des conséquences mais obligé de le faire, il met cette saloperie de montre à l’heure. Il suppose que la casser risquerait de détraquer le temps de façon irrémédiable et provoquerait peut être même la mort par arrêt définitif de toute la population de son quartier…
C’était effectivement son dernier jour au cabinet ’expertise comptable. Il ne l’a pas fait mais il ne prendra pas de vacances non plus.
Désormais, il ne sera plus comptable que du Temps.
Ce vendredi matin-là, à 11h 05 exactement, une petite portion de la ville, un millier de personnes tout de même, sortit engourdie, nauséeuse, frappée de migraines atroces, d’une espèce de mortelle torpeur qu’après enquête approfondie, on imputa, faute de mieux, à l’ingestion ou à l’inhalation accidentelle ou plus probablement criminelle, d’un puissant neuroleptique.
Tous ceux qui avaient été « bloqués » dehors à 4 heures, ne comprirent jamais ce qu’ils y faisaient, hagards et désemparés, à 11h 05, incapables de se rappeler ce qu’ils avaient fait entre temps. Les autres se réveillèrent dans leur lit, malades comme des bêtes…
Puis la vie reprit son cours. On oublia l’étrange événement. Les habitants du quartier de Pascal, amnésiques d’une mince tranche de vie de sept heures et cinq minutes très précisément, ne surent jamais ce qui leur était vraiment arrivé. Et ce n’était certainement pas Pascal qui allait le leur apprendre !
Les enquêteurs ne parvenant à aucune conclusion sérieuse et les victimes n’ayant pas souffert de la moindre séquelle de leur supposé empoisonnement, le dossier fut clos sans suites…
Derrière son comptoir, Monsieur Pascal guette les clients. Il attend celui qui viendra le relever de sa tâche. Le Client idéal qui sait exactement ce qu’il veut et combien il est prêt à débourser pour l’obtenir… Il attend celui qui, dans le fatras qui encombre sa petite boutique d’antiquaire, au milieu des merveilles qui ornent sa vitrine, a déjà repéré l’objet de ses rêves : la vieille montre de gousset au boîtier d’argent minutieusement poli et joliment gravé…
Il sait que ce sera aujourd’hui. Alors enfin, il pourra se reposer, après vingt-cinq années de bons et loyaux services pour le compte du Temps…

©A-M Lejeune

lundi 30 septembre 2024

Rébellion

 Composé pour l'atelier d'écriture de Ghislaine

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Rébellion (15-08-2019)


Par une aurore étrange de brume voilée

Les notes une à une se sont envolées.

Une dernière fugue, un grand battement d’ailes

Vers le ciel allegro, ont fui les sept rebelles.


Le La fut le premier. C’est lui, haussant le ton

Qui incita  les autres à la rébellion

- Je ne supporte plus de faire l’ouverture

La vie à la baguette est devenue trop dure !


-Et nous donc, à ta suite, a renchéri le Do

Nous sommes obligés de marquer le tempo

-Arrête  dit le Ré, je crois que tu radotes

A se la jouer râleur, on finit fausse note !


Le Mi,le Fa, le Sol, n’osaient prendre parti,

Ils attendaient du Si, qu’il donne son avis.

Il hésita un peu, puis dit : « Adieu sonates,

Symphonies, requiem, concertos et cantates…


Et voilà, c’est fini, murmurent les soupirs

Clé de Sol ou de Fa, n’ont plus rien à ouvrir !

Sans notes,  la musique n’est plus que silence.

Plus un seul chant d’oiseau, plus aucun pas de danse…


Les partitions désertes gisent oubliées,

Attendant  que reviennent les sept évadées.

Je guette moi aussi le grand battement d’ailes

Qui rythmera, joyeux, le retour des rebelles.


©A-M Lejeune